Présentation
Le projet « Jachères » est une exploration des friches urbaines et périurbaines du nord de la France par le biais de l’art, du design, et de l’architecture. En 2023, l’équipe débute son voyage sur la Môle 1 du port de Dunkerque, à la Halle aux sucres. Lauréat du programme Mondes Nouveaux, « Jachères » propose quatre résidences artistiques, une exposition, une programmation publique, et une recherche d’architecture et de design de mai à juin 2023. Curateur·ice·s, artistes, participant·e·s s’interrogeront collectivement : Qu’est-ce que l’abandon ? Le sale ? Le désordre ? Pourquoi nommer « invasives » certaines espèces de plantes ou d’animaux qui peuplent les friches ? Comment mettre en valeur les friches sans détruire leur identité ? Leur âme ?
Manifeste
Les friches sont des territoires en jachère, voire à l’abandon. Elles sont les témoins délaissés des utopies industrielles passées : ici une vigie de métal où le dernier planning sur papier jauni est resté accroché sur un tableau de liège, là un quai de béton qui porte encore les indications des hauteurs et poids maximum autorisés, ici une cellule de prison enfin vide couverte de graffitis allant de la prière à l’obscénité. Les friches sont paradoxalement « protégées » par leurs handicaps — une faillite sans repreneur, un territoire qui n’attire plus, des sols pollués — sont autant de raisons de leur « abandon ».
Mais qu’est-ce que l’abandon ? Ignorées des capitaux, ignorées des « décideurs », elles macèrent dans une ignorance toute relative. Aux marges de la cité — tout en étant parfois en plein cœur de la ville — elles attirent les margina·les·ux. Il y a celles et ceux qui souffrent, rejeté·e·s par une société normée : migrant·e·s, Roms, sans-abris, toxicomanes. Puis d’autres à la recherche d’un espace alternatif : militant·e·s politiques, écologistes, artistes, adolescent·e·s qui étouffent, curieux·ses en tout genre. La friche peut aussi être un terrain dangereux, genré, où le risque et sa perception changent si l’on est homme, femme, transgenre.
Au-delà de ces espaces refuges aux marges, c’est dans leur reconquête par la vie non-humaine que l’on trouve toute la magie des friches. Les dynamiques de la faune et la flore nous amènent à nouveau à reconsidérer l’idée d’« abandon ». La raréfaction d’une activité humaine industrielle c’est l’arrêt de pratiques répétitives visant à effacer d’un espace toute altérité végétale qui ferait « sale », ou « en désordre », qui viendrait s’insinuer dans les anfractuosités du béton, dans les faiblesses de l’acier. Quand la friche devient friche, on n’arrache plus les touffes d’herbe qui poussent sur le ballast, on ne surveille plus l’unité de la couche d’asphalte qui imperméabilise les sols, on n’asperge plus d’insecticide la renouée du Japon dont les tiges rouge vermillon défonce la dalle de béton. La faune revient parfois, surprenante et incongrue, espèces parfois rares atterrissant là, dépassant les barrières de la ville pour se développer dans cet îlot protecteur.
Parmi toute cette faune et cette flore, on trouve des espèces dites « invasives ». Une espèce invasive est une espèce allochtone, c’est-à-dire d’apparition récente, qui par sa propagation peut entrer en conflit avec des espèces dites autochtones, ou indigènes, et perturber les écosystèmes existants. En Europe, on considère généralement une plante comme allochtone si elle est apparue après 1492 et le début du trafic transatlantique. On établit une taxonomie du bon étranger, du bienvenu et du rejeté. On fixe le temps et l’espace dans des notions construites — qui l’authentique ? qui l’indigène ? qui l’envahisseur ? Ici le lexique de la botanique et de la zoologie s’entremêle avec celui de la politique. Et bien sûr la friche les accueille, comme toutes les marginalités. C’est dans ces espaces modifiés par l’Humain, puis abandonnés, que les espèces invasives se trouvent le mieux. Elles s’épanouissent dans nos « ruines de la fin du monde », comme l’écrit l’anthropologue Anna Tsing.
Fin du monde ou mondes nouveaux ? Ces friches nous rappellent l'écroulement parfois brutal de ce qui faisait notre passé : délocalisation d'une usine, abandon d'une gare, arrêt de toute une industrie. Ces « hétérotopies » comme les nommait Michel Foucault, espaces liminaux, reclus et marginalisés, regorgent d'exemples de renaissances, micro- et macrocosmiques, parmi les ruines de l'ancien monde.
Artistes
Eline Benjaminsen
Le travail d’Eline Benjaminsen (Norvège, 1992) questionne par la photographie les flux financiers, au travers de récits « follow-the-money » qui combinent tirages, video et textes dans des installations multimédia. Intriguée par la question de savoir comment l’absence de représentation visuelle des effets de nos processus socio-économiques impacte notre capacité à nous sentir concerné, ses projets enquêtent sur de possibles iconographies aidant à mieux comprendre ces phénomènes. La collaboration joue un rôle essentiel dans sa pratique artistique, et elle travaille en association avec des chercheur·se·s, activistes, et journalistes. Les dernières expositions de son travail incluent FOTODOK (Pays-Bas), Atelier Néerlandais (France) et la Mannheim Biennale für Aktuelle Fotografie (Allemagne).
Nadine Schütz
Nadine Schütz est plasticienne-architecte sonore d‘origine suisse installée à Paris. Son travail tient des lieux et de l’écoute, du corps et de l’espace. S’appuyant sur une recherche à la fois théorique, technique et poétique, elle explore le paysage sonore à la manière d’une interprète environnementale ; à travers des créations et installations sonores et un travail sur les ambiances qui mettent en relation l’urbain et l’humain, la musique et la nature. Ses projets associent l'architecture paysagère, l'acoustique environnementale et l'art sonore, et sont souvent situés dans l'espace public. Ses œuvres et scénographies ont été présentées à Zurich, Genève, Paris, Venise, Naples, New York, Moscou, Tokyo et Kyoto. Parmi ses projets en cours, un dispositif sonore pour le parvis du nouveau Tribunal Judiciaire à Paris, une suite d'instruments paysagers pour le Franchissement Urbain Pleyel à Saint-Denis et des jardins amplifiés pour le village olympique des Jeux d'été 2024. A Pantin, elle poursuit un travail sur la mémoire sonore industrielle des Grandes-Serres sur le site des anciennes usines Pouchard. Nadine Schütz a obtenu un diplôme d‘architecture à l‘ETH de Zurich en conception urbaine et elle est titulaire d‘un doctorat en acoustique paysagère, également à l‘ETH de Zurich. Depuis 2018 elle est compositrice invitée à l‘IRCAM à Paris.
Atelier Za’atar
Atelier Za’atar est un duo de création et de médiation avec pour ligne directrice : inviter son public à faire une expérience sensible des plantes qui nous entourent et des paysages que nous habitons. Cette pratique est nourrie par l’approche phénoménologique du vivant. Fortement ancrée dans l'expérience, elle fait appel à l’observation attentive, au goût, à la mise en scène et aux mots. Chaque format de création est guidé par le paysage, les plantes et le public en un lieu donné.
Anna Lena et Titiane apportent des regards différents et complémentaires sur le végétal. Tandis que Anna Lena poursuit un doctorat autour des paysages post-industriels et s'intéresse tout particulièrement à la posture du paysagiste dans ces écosystèmes, Titiane écrit et traduit autour des thèmes de la cueillette et de l'herboristerie et porte ainsi un regard sur les qualités nutritionnelles et médicinales des plantes locales.
Établi en 2019, l’Atelier travaille depuis avec des institutions culturelles et éducatives. En 2022, suite à une année de résidence de territoire, l’Atelier crée une exposition de photographie itinérante intitulée « MI-LIEUX : traductions des paysages de l'Aubrac ». La résidence Jachères à Dunkerque permet de poursuivre l’intérêt tout particulier de l’Atelier pour le végétal spontané dans les milieux de friches.
StudioLow
Après des études aux Pays-Bas à la Design Academy Eindhoven Héloise Charital et Ismaël Rifaï, développent une recherche commune sous le nom de Studiolow en 2019. Basés à Marseille, leur travail se situe à la frontière entre sculpture, design, recherche documentaire et prend souvent la forme d’assemblage. Fasciné par les mouvements des corps et des objets, le duo questionne les phénomènes de migration et de déplacement à travers des installations associant une pluralité de médias : mobilier, sculpture, vidéo, mapping... Pensés comme des objets narratifs, leurs sculptures et leurs installations explorent les aspects sociaux, politiques et culturels associés aux matériaux et aux formes qui les composent.
Leurs œuvres font partie des collections du Museum für Kunst und Gewerbe de Hambourg et ont été exposées au Design Museum London (2021), à Friedman Benda New York (2021), à la Biennale Émergences (Centre national de la danse, Pantin, 2020), à la Dutch Design Week (Eindhoven, 2019),
à PASSAGEN (Cologne, 2020), et au Van Abbe Museum (Eindhoven, 2020). En 2022, Héloïse Charital et Ismaël Rifaï ont été exposés à la galerie Carlota Oyarzun (Copenhague) ainsi qu’au Schloss Hollenegg for Design en Autriche.
Équipe
Caroline Fodor
Caroline Fodor est artiste plasticienne et scénographe. Depuis 2014, elle développe et produit les projets les plus minutieux et ambitieux, elle crée et réalise sur commande des pièces uniques pour les professionnels du luxe et de la mode. Les pièces réalisées sont par exemple des décors de vitrines en haute joaillerie de très haute facture, singulières et innovantes… Sa créativité, sa vivacité et sa belle humeur permettent de créer une collaboration de confiance. L’atelier est à la fois un studio de création, un laboratoire de recherches et un atelier de production : de l’élaboration à la livraison d’un projet tout est conçu et produit en interne, au Bazaar St So, à Lille.
Justinien Tribillon
Urbaniste, essayiste, éditeur et curateur, Justinien Tribillon explore dans son travail différents media et disciplines : sciences sociales, photographie, architecture, histoire. Justinien a cofondé et est co-rédacteur-en-chef de Migrant Journal, un périodique en six numéros explorant la migration dans toutes ses formes. En tant que curateur, il a présenté « Welcome to Borderland » consacrée à la migration des plantes, à la Biennale d’Architecture de Venise 2021. Justinien a récemment co-édité Concrete and Ink: Storytelling and the Future of Architecture (2021, nai010). Justinien a un doctorat en urbanisme de la Bartlett School of Planning, University College London, où il a étudié le Boulevard périphérique de Paris comme artefact sociotechnique. En parallèle de ses recherches personnelles, Justinien contribue comme journaliste, critique d’architecture, et écrivain, à diverses publications dont The Guardian, The Architectural Review, et récemment AOC. Les articles de Justinien, principalement rédigés en anglais, ont été traduits en français, en espagnol, en hébreu. Justinien enseigne l’urbanisme à University College London, il est régulièrement jury invité en architecture et design (HEAD — Genève, Columbia University GSAPP, École d’architecture de Cardiff, Central Saint Martins, Sciences Po).
Alt174 Architecture
Lauréats du concours européen d’urbanisme et d’architecture EUROPAN en 2017, Adrien Coste et Guillaume Vienne créent Alt174 architecture en 2018. Leurs références incluent — Réhabilitation d’une école art nouveau de 1940 à Mons-en-Barœul: Mise en exergue de la logique architecturale préexistante sans tendre vers le mimétisme ni craindre l’iconoclasme ; Extension de l’ancienne mairie de 1870 de Looberghe: Construction modulable en 22 configurations différentes par l’intermédiaire de parois vitrées coulissantes ; Structure démontable et évolutive - Collaboration avec l’artiste Stephane Kozik ; Pavillon(s) - Tourcoing: Composé de 4 tourets métalliques issus d’usines désaffectées, le pavillon est entièrement démontable et peut être remonté en 4 pavillons selon une logique de cradle to cradle.
Structure Bâtons
Structure Bâtons a été fondée en 2014 par Lucile Bataille et Sébastien Biniek. Leur association permet un fonctionnement à géométrie variable allant du design graphique au commissariat, des ateliers ouverts aux outils didactiques, du dessin de caractère aux formes éditoriales. C’est à travers différentes collaborations et résidences de design que se déploie des recherches dialectiques tournée vers les individus, leurs modes d’existences et leurs constructions visuelles. Structure Bâtons a travaillé pour des institutions culturelles comme Le Signe, centre national du graphisme, Le Musée de l’Homme, le Musée Gassendi, la Maison des Métallos, le CNAP, le service culturel de la Communauté d’agglo de Béthune-Bruay, des festivals culturels tels que La Brèche festival, Château Sonic, Arkaoda (Allemagne). Nous nous sommes associés à des projets avec Knekelhuis Record label (Pays-Bas), Air de Paris ou encore L’innefable compagnie.
Partenaires
Mondes Nouveaux
Pour soutenir la création artistique après la crise sanitaire, le volet culture du plan France Relance consacre 30 millions d’euros à Mondes nouveaux, programme de soutien novateur à la conception et à la réalisation de projets artistique, en soutenant 430 créateurs et créatrices et 264 projets dans toute la France.
Halle aux sucres
Ancien bâtiment portuaire, la Halle aux sucres est aujourd’hui un lieu vivant pour la ville durable, un lieu pour tous ceux qui réfléchissent à la transformation de nos vies quotidiennes. Découvrez de nouveaux espaces d’exposition et d’expression, un plateau dédié à l’innovation numérique, un espace ludique pour comprendre les enjeux de la ville durable à la française et deux étages dédiés à l’évolution des politiques publiques territoriales. Lors de chaque nouvelle saison, retrouvez la grande exposition sur une thématique au cœur de l’actualité.
● Curation et production
— Justinien Tribillon
● Direction artistique et scénographie
— Caroline Fodor
● Architecture et scénographie
— Alt174 Architecture
● Graphisme et identité visuelle
— Structure Bâtons
Un projet Usus et fructus avec le soutien de Mondes Nouveaux